Seconde - Chapitre 1 - Comment travaillent les économistes, sociologues et politistes ?- Partie 2
Bonjour,
jusqu'ici, nous avons redéfini chacune des disciplines étudiées cette année et commencé à discuter des méthodes utilisées. Pour mesurer les phénomènes étudiés ou comparer, on utilise des données quantitatives, c’est-à-dire des chiffres. Nous allons prendre un temps pour voir ce qu’on peut en faire.
Mais nous verrons aussi qu’en matière de sciences sociales, c’est loin d’être suffisant. D’abord parce que certains phénomènes ne se réduisent pas à des chiffres, ensuite parce que l’objectif n’est pas que de mesurer mais également de comprendre. On utilise donc également des données qualitatives et on s’éloigne à l’occasion des méthodes de recueil statistiques, ce qui n’empêche pas de tenter de mettre sur pieds des expériences.
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Chercher des corrélations
Revenons d’abord sur ce qu’on peut faire des chiffres récoltés. Souvent, ils vont être utilisés pour démontrer une relation entre les variables et chercher des corrélations. Une corrélation, c’est une relation entre deux variables qu’on étudie quand par exemple elles évoluent dans le même sens (corrélation positive) ou alors dans un sens opposé (corrélation négative). On peut alors essayer d’établir un lien entre ces deux évolutions même si ce lien est indirect. On distingue en effet corrélation et causalité comme le rappelle le document suivant (Doc 4P11)
Sur ce document, on positionne différents pays en fonction de deux axes : le nombre d’enfants par femme en ordonnée et l’usage d’internet en % de la population en abscisses. Le code couleur permet de voir que les pays d’un continent se situent à peu près sur des espaces communs. Les pays d’Afrique en orange ont généralement un nombre d’enfants par femme élevé et un faible taux d’accès à internet. Les pays d’Asie sont un peu plus connectés et le nombre d’enfants par femme y est plus faible. On trouve en bas à droite les pays les plus connectés et où la natalité est la plus faible.
Le graphique semble donc faire apparaître une corrélation négative entre la natalité et l’usage d’internet. Mais quel est le sens de cette relation ? L’une des variables explique-t-elle l’autre ?
Est-ce que le nombre d’enfants par femme influence l’usage d’internet dans un pays ? sans doute pas…
Est-ce que l’usage d’internet influence la natalité dans le pays ? sans doute pas non-plus…
En fait, il y a corrélation, mais pas causalité !
C’est pourtant une erreur que l’on fait fréquemment dans les médias à partir de corrélations statistiques et que l’on nomme l’effet cigogne : en Alsace, charmante région du nord-est de la France on avait coutume de dire que les cigognes amenaient les nouveaux-nés, un peu comme sur cette image.
Ce qui expliquait cette affirmation/croyance, c’est que le pic annuel des naissances, le moment de l’année où l’on en constatait le plus, se produisait au moment où cet oiseau migrateur revenait s’installer dans la région après avoir passé l’hiver en Afrique du Nord. Il y avait bien corrélation entre le retour des cigognes et la masse des naissances. Mais évidemment pas de causalité. Si les naissances étaient nombreuses au printemps, c’est avant tout parce qu’on se mariait en été et qu’on ne tardait pas à consommer le mariage. Les enfants arrivaient 9 mois plus tard… au printemps, lorsque le climat redevenait favorable à nos cigognes.
Bien souvent, les deux indicateurs corrélés sont reliés à un troisième, tout cela est très bien expliqué dans cette vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=aOX0pIwBCvw
Pour le graphique qui nous concerne, le niveau de développement du pays est sans doute la variable qui détermine les deux autres.
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Des données qualitatives pour expliquer
Les données chiffrées sont utiles on l’a dit pour mesurer un phénomène comme par exemple celui de l’abstention qui intéresse les politistes : l’abstention, c’est le fait de ne pas aller voter. On peut alors comparer deux élections entre elles ou le taux d’abstention entre différentes catégories d’électeurs (selon le niveau de diplôme par ex). Mais si l’on veut savoir pourquoi les électeurs s’abstiennent, il faut leur donner la parole et réaliser des « entretiens ».
Ce sont leurs réponses qui permettront de mettre les chercheurs sur différentes pistes ou différents profils d’abstentionnistes. Et ils trouveront qu’il y a ceux que la politique n’intéresse pas, ceux qui ne se jugent pas compétents, ceux qui ne sont pas inscrits sur les bonnes listes électorales après un déménagement et enfin, ceux qui trouvent que les partis les représentent mal et rejettent le système des élections.
Bref, la complexité des choses va apparaître petit à petit à travers l’analyse du discours des enquêtés. Ici, il n’est pas nécessaire de viser une parfaite représentativité des personnes qu’on étudie. On cherche avant tout à dégager du sens.
Si les entretiens ne sont pas possibles, ou alors en parallèle, on peut mettre en place également un dispositif d’observation comme le mentionne le document suivant.
Dans le cadre de cette enquête, les sociologues se sont fait passer pour des visiteurs pour observer le public de l’enquête, majoritairement des sans-abris, et comprendre les raisons de leur présence et leurs usages du lieu. Les entretiens, pas toujours faciles à faire accepter, ont permis d’expliquer leur présence, assez inhabituelle dans un grand musée parisien.
En sociologie ou en sciences politiques, on réalise des enquêtes de terrain pour récolter ce matériau qualitatif et comprendre les phénomènes sociaux.
L’exemple de la « rumeur d’Orléans » qui est présenté dans les deux extraits vidéo qui suivent illustre ce travail d’enquête de terrain et ses difficultés pour comprendre comment une rumeur complètement irrationnelle peut se développer dans une ville et sur quoi elle peut reposer.
L’affaire est résumée ici (4min) :
L’enquête de terrain est en partie racontée là (3min) :
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Et les expériences ?
Dans les sciences de la nature, un moyen intéressant de chercher des propriétés, de démontrer des relations ou de tester des hypothèses, c’est évidemment de mener des expériences en laboratoire. Dans les « laboratoires » de sciences sociales, on ne trouve ni paillasse, ni blouse blanche. Ce sont plutôt des organismes de recherche qui réunissent des chercheurs travaillant sur des thèmes communs au sein d’une université.
Mais fait-on des expériences ?
C’est évidemment compliqué, mais c’est possible. En sciences sociales, on peut chercher à déceler des comportements mais cela implique souvent de créer des situations artificielles, voire de cacher aux « sujets » le but de l’expérience afin qu’ils ne modifient pas leurs comportements.
Voici une vidéo qui porte sur l’expérience de Asch (sur le conformisme).
https://www.dailymotion.com/video/x2dwdc4
Comme dans les sciences expérimentales, on met sur pied un protocole strict qui permet de comparer différentes situations et le poids relatif des différentes variables.
En économie, le recours aux expériences est plus rare et plus récent. Mais on peut partir de situations réelles, fortuites et en faire le même usage. C’est le cas de l’expérience de la crèche de Haifa que vous relate le texte suivant.
L'expérience de la crèche de Haïfa en Israël
Tiré du bestseller Freakonomics (2005) coécrit par Steven Levitt et Stephen J. Dubner, l’expérience économique connue sous le nom de « la crèche de Haïfa » montre que la contrainte la plus efficace n’est pas forcément pécuniaire.
Dans la crèche israélienne en question, le personnel se plaint de ce que certains parents se présentent en retard le soir. La première réaction du maire est de publier un court texte, une invocation morale appelant les parents à respecter leur engagement de ponctualité. Par conséquent, les retards diminuent ; mais certains parents, toujours les mêmes, ne modifient aucunement leur comportement, ce qui irrite considérablement les employés de la crèche. Le maire décide alors de passer à une mesure plus sévère : il veut « taper au porte-monnaie » en instituant un système de pénalité en fonction de la durée du retard. Résultat ? Les retards deviennent plus nombreux et plus longs, les parents préférant s’acquitter de l’amende et venir vers 20h. Ainsi, la mesure prise par le maire produit l’effet contraire de celui escompté.
Comment expliquer cette conséquence contre-intuitive ? L’institution d’un barème d’amende a transformé la valeur morale de l’absence de ponctualité – par exemple concrétisée dans l’hostilité du personnel de la crèche, voire de la communauté des parents – en une valeur économique. Dès lors, les parents retardataires ont réévalué la nature profonde de leur comportement, estimant désormais payer pour un service supplémentaire. Selon la loi de l’offre et de la demande, la mesure est inefficace parce que le prix de l’amende est trop bas : il serait nécessaire de le relever jusqu’à annihiler la demande. Cependant, les parents ne comprendraient pas un niveau d’amende excessivement élevé, disproportionné par rapport au comportement reproché. La conclusion est que c’est la contrainte morale qui est en l’occurrence la plus efficace : la solution au problème réside dans la prise de conscience des parents. C’est pourquoi le maire a supprimé les pénalités, ramenant ainsi les retards à un niveau inférieur.
Romain Treffel, « L'expérience de la crèche de Haïfa en Israël », analyse publiée sur «leconomiste.eu» le 03/02/2016. Anecdote économique extraite du recueil intitulé « 50 anecdotes économiques pour surprendre son auditoire ».
En bonus, vous pouvez aller visiter ce site http://www.tylervigen.com/spurious-correlations
qui établit (en anglais) des corrélations statistiques absurdes. Les chiffres sont vrais mais il n’y a évidemment aucun lien entre les phénomènes réellement mesurés.
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