Sciences économiques et sociales - le blog de M. Engel

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Première - Chapitre 10 - Voter: une affaire individuelle ou collective ? - Partie 2/5

 

Bonjour,

maintenant que vous en savez un peu plus sur sur le système politique français, penchons-nous sur la question du vote et voyons ce que nous réserve le programme.

 

Objectifs d'apprentisage (du programme) :

 

  • Être capable d’interpréter des taux d’inscription sur les listes électorales, des taux de participation et d’abstention aux élections.
  • Comprendre que la participation électorale est liée à divers facteurs inégalement partagés au sein de la population (degré d’intégration sociale, intérêt pour la politique, sentiment de compétence politique) et de variables contextuelles (perception des enjeux de l’élection, types d’élection).
  • Comprendre que le vote est à la fois un acte individuel (expression de préférences en fonction d’un contexte et d’une offre électorale) et un acte collectif (expression d’appartenances sociales).
  • Comprendre que la volatilité électorale revêt des formes variées (intermittence du vote, changement des préférences électorales) et qu’elle peut refléter un affaiblissement ou une recomposition du poids de certaines variables sociales, un déclin de l’identification politique (clivage gauche/droite notamment) et un renforcement du poids des variables contextuelles.

 

Il y a bien des façons de participer à la vie politique dans une démocratie : s’inscrire dans un parti politique, signer une pétition, manifester, écrire ou signer une tribune dans un journal, etc… mais l’action la plus fréquente et la plus partagée, c’est la participation aux élections : le vote. C’est d’abord tout un symbole parce que la conquête du suffrage universelle a été longue.

 

Le vote a une dimension individuelle : on s’isole pour voter dans le secret de l’isoloir, on glisse son bulletin dans une enveloppe opaque et on vote en son âme et conscience, loin des pressions. Mais il a aussi une dimension collective : on vote tous au même moment, dans des lieux similaires, avec le même matériel, souvent au nom d’un devoir citoyen (parce que c’est conforme donc aux normes et aux valeurs qu’on a intériorisées) et on apprendra les résultats au même moment qui révéleront la volonté populaire.

 

Mais l’aspect collectif du vote ne s’arrête pas là. Voter ou ne pas le faire, voter à droite ou voter à gauche, tout cela dit quelque chose de notre système politique, du rapport  que les citoyens entretiennent avec les partis et les institutions, de la socialisation politique qu’ils ont reçu, de leur place dans la société et de leurs caractéristiques sociales. Les élections c’est donc un moment particulier, ritualisé mais qui n’échappe pas aux logiques de la vie collective.   

C’est ce dont nous allons parler dans ce chapitre.

 

I. Comment expliquer la participation électorale ?

La première question qu’on peut se poser c’est celle de la participation électorale et à l’inverse celle de l’abstention. 

 

Il y a deux manières de poser la question et de montrer son intérêt.

 

La première, c’est le paradoxe du vote qu’a souligné Anthony Downs  en 1957. Si on imagine que les électeurs sont rationnels et égoïstes (comme un consommateur dans le modèle néoclassique), ils vont comparer les coûts du vote (se renseigner sur les candidats et leur programme, perdre du temps à aller voter plutôt que d’aller profiter de leur temps libre…) et ce qu’il va leur rapporter : généralement rien, sachant qu’il est rarissime que le vote d’un électeur soit décisif, une élection se jouant rarement à une voix près. Selon ce modèle, les électeurs devraient rationnellement s’abstenir. S’ils ne le font pas c’est bien qu’il entre en jeu quelque chose d’autre (le sentiment du devoir accompli, les normes sociales, etc…).  Pour savoir de quoi il s’agit, il faut s’intéresser aux électeurs.

 

Aujourd’hui en France, on prendrait plutôt le problème dans l’autre sens : pourquoi les gens votent-ils si peu alors qu’ils ont la chance de pouvoir le faire ? Les chiffres de la participation et de l’abstention sont largement commentés par les médias parce qu’ils sont révélateurs de la bonne ou de la mauvaise santé de notre système politique. (Puis arrivent les résultats et on oublie l’abstention pendant quelques temps…). Mais pour comprendre cette abstention et la crise politique qu’elle révèle, il faut s’intéresser aux abstentionnistes.     

 

A. Participation ou abstention : de quoi parle-t-on ?

D’abord, avant de comprendre de quoi on parle, il faut définir qui sont ceux qui peuvent voter, le corps électoral.  En France, tous les citoyens de plus de 18 ans peuvent voter (sauf si une décision de justice les a privé de ce droit).

Mais pour pouvoir déposer son bulletin dans l’urne, il faut également être inscrit sur les listes électorales. C’est un fichier qui permet de vérifier que les électeurs peuvent voter, ne votent qu’une seule fois et au bon endroit afin d\'éviter les fraudes.

 

Lorsqu’on vote, on signe le registre à côté de son nom. L’inscription est généralement automatique lorsque l’on atteint 18 ans. Mais si on déménage, il faut faire une démarche pour se réinscrire dans sa nouvelle commune. Ou alors, il faudra retourner dans sa commune d’origine pour voter. Et si entre-temps, du ménage a été fait dans les listes électorales, on peut ne plus être inscrit nulle-part.  

Aux dernières élections législatives mauriciennes, certains électeurs n’ont pas pu voter parce qu’ils n’étaient plus inscrits sur les listes électorales : ils étaient absents au moment du dernier recensement et avaient été radiés. 

 

C’est en se basant sur les inscrits que l’on calcule la participation électorale (ceux qui sont allés mettre un bulletin dans l’urne) et l’abstention : ceux qui n’y sont pas allés.

 

Parmi ceux qui participent, on fait ensuite la différence entre les suffrages exprimés (les votes valides), les bulletins blancs et les bulletins nuls (plusieurs bulletins dans l\'enveloppe, bulletins déchirés, annotés, bulletins non prévus, etc…)

L’ensemble de ces possibilités apparaissent bien sur le schéma suivant issu de votre manuel  (P194 doc1):

 

Il peut donc y avoir une grosse différence entre le nombre d’électeurs potentiels et ceux qui ont réellement exprimé un choix pour l’un des candidats.

C’est ce qui apparait sur cette autre infographie (P194 doc 1)

Au second tour des élections législatives de juin 2017, le parti d’Emmanuel Macron a donc réuni 16,6% des voix des inscrits. Ce faisant, il fait le meilleur score, par rapport aux autres mais comme 57,4% des électeurs se sont abstenus, on ne peut pas dire que ses candidats représentent la majorité d’entre eux.

 

C’est bien un des problèmes que pose l’abstention : les dirigeants sont élus mais sont mal élus, c’est-à-dire par trop peu d’électeurs, ce qui diminue forcément leur légitimité, leur capacité à gouverner et à parler au nom du peuple.

 

Les règles électorales affrontent diversement  ce problème de l’abstention. Dans certains pays, le vote est obligatoire (Belgique, Luxembourg, Grèce, Danemark, Brésil, Turquie, Australie…) parfois sous peine d’amende, ce qui entraîne des taux de participation souvent proches de 90%.

https://www.francetvinfo.fr/elections/departementales/ces-pays-ou-le-vote-est-une-obligation_846847.html

 

Ailleurs, on tolère l’abstention, car elle n’empêche pas les institutions du pays de fonctionner : les résultats des différents partis ou candidats sont calculés par rapport au nombre de suffrages exprimés. On a donc presque toujours un candidat qui obtient plus de 50% et qui est élu.

 

Les 16,6% des voix des électeurs obtenus par La République en Marche aux élections législatives de 2017 se transforment en 49% des suffrages exprimés. Et grâce au scrutin majoritaire à 2 tours, le parti présidentiel remporte 308 sièges sur 577, soit une confortable majorité.

 

B. Une participation qui varie beaucoup

 

  • Selon le type d’élection

On peut commencer par souligner que la participation varie beaucoup selon l’élection.

L’exemple des législatives de 2017 est particulier. D’abord parce que les législatives sont des scrutins auxquels la participation est traditionnellement assez faible. Elles suivent de peu les élections présidentielles où les choses se jouent vraiment en France : c’est le Président qui décide de la politique menée et les électeurs sont généralement assez logiques pour voter à peu près la même chose en juin qu’en avril. Ceux qui ont perdu les présidentielles se mobilisent généralement moins pour aller voter (ils savent qu\'ils vont perdre). Et pour ceux qui ont gagné les présidentielles, l’essentiel est fait.

Le graphique suivant illustre bien ce phénomène.

 

On vote beaucoup aux présidentielles mais peu aux législatives.

Les élections législatives sont celles pour lesquelles les électeurs s’abstiennent le plus des trois scrutins présentés. La participation est forte à l’élection présidentielle (près de 80% des électeurs se déplacent) parce que l’enjeu est important.

Elle l’est aussi aux élections municipales (celle du maire et de ses conseillers) parce que l’enjeu est proche : l’abstention est comprise entre 30 et 40%. On connaît les élus locaux et les programmes parlent à tout le monde parce qu’ils concernant la vie quotidienne : refaire telle route, construire une nouvelle école, etc… Mais on constate bien que depuis le début des années 90, l’abstention augmente régulièrement, aussi bien pour les législatives que pour les municipales. 

 

Au final, plus l’enjeu est identifié, plus l’élection paraît décisive, moins on s’abstient (même si on s’abstient de plus en plus). Le pire, ce sont les élections des députés européens : entre 50 et 60% d’abstention lors des trois derniers scrutins… En effet, une bonne partie des électeurs ne saisissent pas les enjeux ou l’impact des décisions du parlement européen sur leur vie quotidienne. Ce dernier a d’ailleurs peu de poids au sein des institutions européennes et le vote des français a peu d’impact puisque chaque pays y envoie des représentants. Bref, tout ça parait lointain et compliqué, pour un bénéfice difficile à identifier.

 

  • Selon les années

 

Il n’y a pas que le type d’élection qui entre en jeu. L’année du scrutin, la configuration de l’élection (qui affronte qui ?) jouent un rôle également. Et si l’abstention augmente selon les années, ça n’est pas forcément un signe de désintérêt total pour les élections.

En fonction du scrutin, certains électeurs choisissent d’aller voter ou de s’abstenir, ce sont les abstentionnistes intermittents. D’autres votent toujours. Et les derniers s’abstiennent de façon systématique. C’est ce qui apparaît sur le graphique suivant.

 

Jusqu’en 2012, on a donc environ 50% des électeurs qui votent systématiquement aux deux tours des élections présidentielles et législatives. C’est déjà assez faible mais c’est vraiment en 2017 que leur nombre diminue fortement (35%).

 

L’abstention systématique varie selon les années. Elle représente plus de 10% des électeurs en 2002, elle baisse en 2007 pour dépasser à nouveau les 10% en 2012 et 2017. Pour cette dernière année, c’est le vote intermittent qui augmente plus que l’abstention systématique.

 

Il faut dire que souvent, le candidat pour lequel on avait voté au premier tour est absent au second. Et que parfois aucun candidat présent au second tour n’est proche des idées des électeurs. Par exemple si un candidat de droite affronte au second tour un candidat d’extrême droite. Dans cas, il y a de fortes chances pour que l’abstention augmente chez les électeurs de gauche.   

 

L’abstention est donc un phénomène évolutif et difficile à saisir : il est influencé par de multiples variables.

Nous nous intéresserons la prochaine fois au profil des abstentionnistes réguliers ou intermittents. 

 


Mais d’ici-là, je vous demande de vous pencher sur ce tableau qui vous donne les chiffres  de la participation au premier tour des élections présidentielles de 2017 selon le Ministère de l’intérieur. A partir des chiffres bruts, je vous demande de calculer pour mercredi :

  1. Le taux d’inscription sur les listes électorales
  2. Le taux d’abstention
  3. Le taux de participation

     

    Faites attention à ce qui vous sert de référence pour calculer chaque pourcentage. Le premier graphique du cours devrait vous aider.

Source : Ministère de l’Intérieur, 2017

 


Pour aller plus loin sur la crise de la représentation qui nourrit l’augmentation de l’abstention, je vous demande également de voir les 8 premières minutes de ce documentaire qui présente une approche critique des limites de la démocratie représentative (vous pouvez aussi le voir en entier).

https://www.youtube.com/watch?v=uzcN-0Bq1cw

 

 



19/04/2020
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