Première - Chapitre 10 - Voter: une affaire individuelle ou collective ? - Partie 3/5
On a pris le temps dans la séance précédente de préciser de quoi on parle lorsqu’on mentionne l’abstention ou la participation et quels étaient les enjeux sous-jacents de ces comportements électoraux. On a vu qu’ils pouvaient varier selon le type d’élection ou le contexte. Aujourd’hui, nous allons faire un peu de sociologie électorale pour comprendre qui sont les abstentionnistes et comment se déterminent les préférences politiques.
II. Les déterminants sociologiques de l’abstention et du vote
A. Qui sont les abstentionnistes ?
Au-delà des facteurs déjà étudiés et qui peuvent influencer l’abstention d’une élection à l’autre, on peut remarquer des écarts significatifs dans les taux de participation et d’abstention en fonction des caractéristiques sociales des électeurs.
C’est ce qui apparaît clairement sur ce graphique de votre manuel (doc4 P195).
Ce graphique réalisé à partir d’une enquête de l’INSEE permet d’effectuer des comparaisons entre différentes catégories d’électeurs.
Il apparaît clairement que les jeunes sont plus souvent abstentionnistes que les séniors. 23,9% des 25-29 ans se sont abstenus systématiquement pour les élections présidentielles et législatives de 2017. Et près de 60% d’entre eux se sont abstenus à au moins un tour (abstention intermittente). Au final, la part de ceux qui ont participé à l’ensemble de ces élections est très faible : moins de 20%.
A l’inverse, plus de la moitié des 70-74 ans ont voté systématiquement. La part des abstentionnistes systématiques n’y est que de 8% et celle des abstentionnistes intermittents de 40%.
Est-ce que ça signifie que les jeunes ne s’intéressent pas à la politique ?
Sans doute, le sentiment que le vote est un devoir civique est-il plus ancré chez les plus vieux des électeurs que chez les plus jeunes. En effet, si on a 70 ans en 2017, on a été élevé pendant les années 1950, juste après la seconde guerre mondiale, l'occupation allemande et le régime de Vichy. Le retour à la démocratie a un sens important à l'époque et il faut rappeler que les femmes accèdent tout juste au droit de vote en 1945. L’époque de la socialisation politique joue alors un rôle plus important que l’âge lui-même.
Cependant, il y a une autre explication de l’abstention massive des jeunes et notamment de l’abstention systématique : c’est la mal-inscription. En effet, contrairement aux personnes âgées de 70 ans qui se caractérisent par leur stabilité géographique, les jeunes actifs connaissent souvent une période de mobilité importante: pour leurs études ou leur emploi, ils sont amenés à déménager et restent souvent inscrits pendant une période assez longue dans leur commune d’origine, là où vivent leurs parents. Lors de leurs déménagements, ils n’ont pas eu ou pris le temps de mettre leur situation à jour et sont donc souvent dans l’impossibilité d’aller voter. Ils s’abstiennent parce qu’ils sont mal inscrits sur les listes électorales, ils sont inscrits au mauvais endroit. La variable de l’âge n’est donc pas vraiment explicative en elle-même.
Il en va différemment du niveau d’étude ou de la PCS (deux variables par ailleurs liées). L’abstention systématique est trois fois plus importante chez les non-diplômés que chez les électeurs dotés d’un niveau d’étude supérieur au bac. Seuls 30% des non-diplômés ont participé de manière systématique à ces élections contre plus de 40% des diplômés du supérieur.
La proportion est encore plus faible chez les ouvriers si on s’intéresse maintenant aux PCS. Plus de 15% des ouvriers sont des abstentionnistes systématiques, c’est presque 10 points de plus que chez les cadres et on trouve le même écart pour les abstentionnistes intermittents. Au final, les cadres votent bien plus que le ouvriers.
Il semble donc y avoir un lien entre le niveau de diplôme et la position sociale et la participation électorale. Comme l’expliquer ?
On trouve dans ce texte de votre manuel (doc « P195) des éléments d’explication.
On peut trouver dans ce texte deux facteurs explicatifs.
Le premier, c’est que la participation politique est liée à un sentiment de « compétence politique », on va voter parce qu’on se sent légitime pour le faire et cette légitimité repose sur des compétences : la compréhension des enjeux, des débats, du vocabulaire, des différences entre les partis et leurs propositions, du rôle des institutions, etc… Et ces compétences politiques sont en partie liées au capital scolaire dont on dispose. Cela explique que l’abstention systématique soit plus élevée chez les non diplômés que chez ceux qui sont diplômés du supérieur : se sentant moins compétents, ils se sentent moins concernés et se désintéressent en partie du vote.
A la fin du texte, on part toujours du niveau d’étude mais on passe par le degré d’intégration des individus pour expliquer la participation ou l’abstention. Finalement, la participation politique serait liée à l’insertion sociale et professionnelle des individus dont on a parlé dans un chapitre précédent. Voter, c’est alors se sentir concerné par les choix collectifs et s’abstenir peut être un indice d’exclusion, de marginalisation ou de désaffiliation. La précarité et le chômage de longue durée dont on sait qu’ils touchent davantage les moins diplômés et les travailleurs les moins qualifiés éloigneraient les individus des choix politiques, les disqualifieraient.
Ici, on peut parler d’abstentionnistes « hors-jeu » dans le sens où les électeurs s’abstiennent parce qu’ils ne se sentent pas compétents, voire pas concernés par les choix politiques.
Ces abstentionnistes « hors-jeu » coexistent avec des abstentionnistes « dans le jeu », ceux qui sont mentionnés dans le reportage « j’ai pas voté » dont vous aviez vu un extrait. Ceux-ci, qui peuvent être diplômés et bien intégrés, se sentent compétents, sont politisés mais donnent à leur abstention (systématique ou intermittente), une dimension politique : il s’agit de dénoncer les défauts du système politique, l’alternance au pouvoir des partis sans réels changements, la « déconnexion des élites », le manque de choix réels, le mode de scrutin, l’absence de propositions politiques qui leur correspondraient, etc. Et d’une certaine manière, les catégories populaires sont également susceptibles de faire partie de cette catégorie : ils sont globalement absents des discours et de la représentation politique.
Les caractéristiques sociales sont donc déterminantes en matière d’abstention et de participation : le vote, ça n’est pas qu’une affaire individuelle. C’est vrai aussi bien pour la participation que pour les préférences politiques des individus.
B. Comment se façonnent les préférences politiques ?
Ici, la question est de savoir ce qui explique que l’on vote pour tel ou tel parti, plutôt à gauche ou plutôt à droite, toujours pour le même parti ou non, etc…
Avant d’aller plus loin, il faut sans doute préciser ce que l’on entend par la droite et la gauche.
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Droite-gauche : de quoi parle-t-on ?
Cette courte vidéo vous présente l’origine de cette distinction entre les partis qui remonte à la Révolution Française.
https://www.youtube.com/watch?v=MazvI0hnhpg
Au départ, on a donc à droite, dans l'Assemblée, des conservateurs qui souhaitent que le Roi garde un pouvoir important et des réformistes qui souhaitent limiter ce pouvoir, transformer le régime politique de façon plus importante. Pendant une bonne partie du 19ème siècle, on trouvera à droite les partisans de la monarchie et à gauche, les partisans de la République.
A la fin du 19ème siècle, avec le développement du mouvement ouvrier et une fois la République installée, cette dimension politique du clivage droite-gauche va disparaître, au profit d’un double clivage économique et sociétal.
D’un point de vue économique, les partis de gauche sont plutôt partisans d’une intervention forte de l’Etat pour corriger les inégalités qui sont vues comme un problème, notamment à travers la redistribution des richesses et la mise en place de services publics. Cela implique des impôts élevés, notamment pour les plus riches et des lois contraignantes sur le plan économique (droit du travail). On est donc plutôt interventionniste.
Pour les partis de droite, les inégalités sont vues comme le résultat des mérites de chacun et le rôle de l’Etat est de favoriser la réussite individuelle et l’activité économique en intervenant peu dans l’économie. On est plutôt favorable à des impôts faibles, chacun devant pouvoir profiter de ses revenus. On est moins favorable à la redistribution ou aux services publics, comme à des législations contraignantes de ce point de vue. On est donc plutôt libéral d'un point de vue économique.
Sur le plan sociétal, on peut reprendre l’opposition entre conservateurs à droite et réformistes à gauche. A droite, on est généralement conservateur ou traditionnaliste sur le plan des valeurs : pour la famille traditionnelle par exemple. A gauche, on est généralement plus ouvert aux évolutions des mœurs (cf. mariage homosexuel).
Ce clivage est propre à chaque pays et dépend de son histoire politique. En Europe, la plupart des partis de gauche ont une histoire liée au mouvement ouvrier et sont donc attachés à certains symboles même s’ils ont beaucoup évolué du point de vue des propositions. Et à l'intérieur de chaque camp on trouvera des sensibilités différentes. Entre l'extrême-gauche (communistes par ex) et le centre-gauche (socialiste par ex,qui s'accommodent du système capitaliste) les propositions économiques varient. De même, sur le plan des valeurs, il existe toute une variété de nuances entre l'extrême-droite et le centre-droit.
Mais globalement, ce clivage décrit assez bien les principales différences entre la droite et la gauche en France, en Allemagne, en Espagne, en Angleterre… Ailleurs, c’est parfois plus compliqué. On peut faire une distinction droite-gauche du point de vue des valeurs aux Etats-Unis par exemple entre les Démocrates à gauche et les Républicains à Droite. Mais d’un point de vue économique, c’est plus difficile. Les démocrates sont bien un peu plus interventionnistes que les Républicains (avec la question de la sécurité sociale par exemple pour ceux qui ont suivi le débat sur l' "Obamacare") mais ils restent très libéraux du point de vue européen.
Si vous voulez savoir si vous seriez plutôt de droite ou de gauche d’un point de vue français (ou quelque part au centre), je vous invite à tester votre positionnement en répondant à une douzaine de questions ici :
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Le rôle de la socialisation politique
Pour préparer le cours de la semaine prochaine et faire echo à ce que nous avions vu dans le premier chapitre de cette année, je vous demande de visionner ce reportage qui dure moins d’une heure et permet de comprendre comment fonctionne la socialisation politique.
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