Première - Chapitre 12 : Comment se construisent et évoluent les liens sociaux? - Partie 1
Chapitre 12 : Comment se construisent et évoluent les liens sociaux?
Objectifs d'apprentissage
-Comprendre et pouvoir illustrer la diversité des liens qui relient les individus au sein de différents groupes sociaux (familles, groupes de pairs, univers professionnel, associations, réseaux).
-Comprendre et savoir illustrer le processus d’individualisation ainsi que l’évolution des formes de solidarité en connaissant la distinction classique entre solidarité «mécanique» et solidarité «organique».
Introduction
Une des questions centrales que se posent les sociologues est de savoir comment les sociétés « tiennent » et ce qui relie les individus entre eux. Nous avons en partie répondu à cette question lorsque nous avons abordé la socialisation. En diffusant des normes, valeurs et rôles prédéfinis, la société assure sa reproduction ainsi qu’une relative stabilité dans le temps.
Mais si l’individu évolue au sein de la société, les rapports avec elle sont indirects. Vous appartenez à la société mais en réalité vous n’avez de rapports qu’avec un nombre limités de ses membres.
En réalité, ce qui fait l’appartenance des individus à la société est leur appartenance à différents groupes sociaux à l’intérieure de celle-ci. C’est dans ces groupes que s’opère la socialisation et se nouent des liens et des relations entre les individus. C’est là que s’opère le contrôle social dont nous avons déjà parlé. C’est également là que s’opère la solidarité entre les individus.
Qu’est-ce qui renforce ou affaiblit ces solidarités ? C’est en partie à cette question que nous allons nous intéresser en étudiant les formes du lien social, l’évolution des formes de solidarité, le rôle du numérique et les facteurs qui favorisent la rupture des liens sociaux.
I. L’intégration des individus au sein des groupes sociaux
A. Qu’est-ce qu’un groupe social ?
Doc 2P136
On appelle groupe social un ensemble d’individus qui ont entre eux des relations directes ou indirectes plus ou moins intenses, une situation ou des activités communes et qui ont conscience d’appartenir au même groupe. Ils sont vus de l’extérieur comme formant un groupe.
Ils ont donc une réalité sociale : on les connaît, ils ont une influence sur leurs membres, ils peuvent agir et coordonner les activités de leurs membres.
Par exemple
Une famille, un groupe d’amis qui se connaissent depuis la petite enfance et se voient fréquemment, un gang, les militants d’un parti politique, une équipe de sport collectif ou une troupe de théâtre amateur sont des groupes sociaux car ils réunissent les caractéristiques évoquées plus haut.
A l’inverse, une foule n’est pas considérée comme un groupe social. Elle peut certes avoir une influence sur les individus qui la composent (panique, colère qui se diffuse par contagion) mais les personnes ne se connaissent pas, n’ont pas forcément de relations et surtout pas de conscience d’appartenir à un groupe. C’est simplement un rassemblement d’individus.
De même pour des gens qui attendent à un arrêt de bus ou pour le public d’une pièce de théâtre.
Les 15-25 ans, les chômeurs ou les 10% les plus riches sont des catégories statistiques réalisées arbitrairement. Ils ont sûrement des caractéristiques communes mais sans doute aussi beaucoup de différences et pas forcément de sentiment d’appartenance.
C’est la même chose pour les PCS qu’on utilise beaucoup en sociologie : les ouvriers, employés, cadres, agriculteurs et autres partagent des caractéristiques communes en termes de mode de vie, de pratiques culturelles ou de consommation mais ce sont avant tout des catégories statistiques et les individus qui les composent n’entretiennent pas de relations et s’identifient plus ou moins à cette catégorie.
B. Groupes primaires et groupes secondaires
A l’intérieur des groupes sociaux, on peut établir des différences selon le type de lien que l’on entretient. Les groupes primaires sont des groupes restreints, c’est-à-dire composés de peu de personnes et les relations y sont généralement plus intenses et plus intimes.
Quels exemples ?
La famille et les groupes d’amis sont bien sûr les meilleurs exemples de groupes primaires. On peut y ajouter les membres d’une association locale comme une petite troupe de théâtre par exemple ou une équipe de football amateur.
Dans un groupe primaire, tout le monde se connaît et se connaît même bien. Les relations sont directes et le sentiment d’appartenance est généralement fort. Cela n’empêche pas les conflits entre ses membres (au contraire) mais l’intérêt du groupe prime souvent sur les intérêts individuels.
Les groupes primaires n’ont pas forcément des objectifs définis. Ils ont une fonction sociale importante (socialisation, identification des membres) mais se suffisent d’exister à l’inverse des groupes secondaires qui ont généralement un but assumé.
Les groupes secondaires sont des groupes généralement plus grands où les relations entre les membres sont moins intimes et souvent indirectes : elles passent par des institutions.
Les groupes secondaires rassemblent souvent leurs membres autour d’un objectif commun : faire avancer une cause, améliorer la situation des membres du groupe… Les affinités entre les membres est donc secondaire.
Les syndicats ou les partis politiques en sont un bon exemple. Les individus partagent des objectifs communs et un certain sentiment d’appartenance mais ne connaissent généralement que peu de membres du groupe directement (les membres locaux du parti, les élus).
Les membres d’une entreprise peuvent aussi être considérés comme un groupe social secondaire (et abriter des groupes primaires si des relations amicales se développent entre les membres d’un service particulier avec invitations, sorties, vacances communes, etc…).
C. Quels liens entretenons-nous ?
Il y a de multiples façons de répondre à cette question. On l'a vu plus haut, les liens peuvent être plus ou moins forts, plus ou moins directs, plus ou moins intimes en fonction des groupes au sein desquels ils se nouent. On pourrait ajouter qu'ils peuvent être plus ou moins solides, plus ou moins fréquents, plus ou moins choisis, etc...
On pet donc à la fois décrire les liens selon leur nature et selon leur fonction.
Pour Serge Paugam, les liens sociaux sont importants car ils générèrent à la fois des formes de protection et de reconnaissance. On peut compter sur les autres membres du groupe (protection) et on compte pour eux (reconnaissance).
C’est vrai aussi bien pour les liens de filiation (dans la famille) comme on l’a vu dans le chapitre précédent que pour des liens de participation (dans une association, au travail) ou enfin pour les liens de citoyenneté.
C’est ce qui apparaît dans le tableau ci-dessous.
Tous ces liens constituent à la fois des ressources (transferts monétaires dans la famille, aide entre voisins, statut et salaire par l’emploi et droits par l’Etat) et ils participent à notre identité. Nous sommes identifiés comme un semblable par notre famille, nos amis, nos collègues, nos compatriotes. Appartenir à la société passe donc par l’appartenance à une multitude de groupes qui nous protègent et nous reconnaissent.
D’ailleurs, ces groupes sont aussi ce qui compte pour les individus, comme cela apparaît bien sur le graphique suivant.
II. Les effets du développement de l’individualisme sur le lien social
Emile Durkheim s’intéresse dès le départ aux types de liens qu’entretiennent les individus en société, au lien social. Sa thèse est qu’avec le passage à la modernité, ce qui nous relie les uns aux autres change de nature et que les individus deviennent plus libres par rapport à leurs groupes d’appartenance sans pour autant que la société ne se défasse.
A. De la solidarité mécanique à la solidarité organique
Pour Durkheim, les sociétés traditionnelles sont des sociétés dans lesquelles chacun a un rôle social semblable. On peut penser au monde rural de la France du 18ème siècle, à un petit village de pêcheur ou à un groupe de chasseur-cueilleur dans la forêt amazonienne. Dans un groupe de ce type, tout le monde fait la même chose, partage les mêmes croyances et le poids du groupe, le contrôle social qui pèse sur les individus est très fort (voir le chapitre sur la déviance). Durkheim parle de solidarité mécanique pour décrire le lien social car il s’agit d’une solidarité par similitude : on est relié aux autres parce qu’on est comme les autres.
Dans les sociétés modernes, la « division sociale du travail » s’est développée : les individus ont des fonctions, des métiers différents. La liberté de chacun s’est développée, le contrôle social est moins fort. On est encore relié aux autres mais pas parce qu’on leur ressemble, parce qu’on est complémentaire.
Dans les sociétés modernes, c’est la solidarité organique qui domine, même si certaines formes de solidarité mécanique n’ont pas disparu.
Tout en étant plus libres, les individus n’ont pas perdu leurs liens, ils sont devenus plus interdépendants.
B. Individualisme et lien social
L’individualisme, qu’il ne faut pas confondre avec l’égoïsme, c’est le processus à travers lequel l’individu va progressivement s’affranchir ou s’émanciper de son groupe d’appartenance en devenant plus autonome. Dans les sociétés traditionnelles, c’est d’abord le groupe qui compte. Le métier qu’on va exercer, la personne avec qui on va se marier, l’endroit où l’on va vivre sont en grande partie déterminée par la famille. Aujourd'hui, il est plus accepté que les enfants puissent choisir ce qu'ils souhaitent faire, comment s'orienter, quoi étudier, où aller s'installer. Et ça ne se traduit pas par moins de solidarité intergénérationnelle comme on l'a vu dans le chapitre précédent.
La vidéo suivante, faite de réactions de jeunes gens à quelques affirmations montre bien comment les jeunes sont partagés entre un individualisme (tout le monde n'en a pas la même définition) qu'ils jugent "normal" et la solidarité.
Ce qui apparaît nettement à la fin de la vidéo et sur quoi se positionnent les interviewés, c'est que la solidarité repose de plus en plus, dans les sociétés modernes, sur des institutions qui relient les individus de façon indirecte. Et ça aussi nous en avons parlé dans le chapitre précédent.
Le graphique suivant permet de mesurer différents pilliers du lien social pour les individus avec un apport équilibré des structure collectives et des actions des individus et des groupes sociaux.
Je vous laisse répondre aux questions pour la semaine prochaine.