Première - Chapitre 10 - Voter: une affaire individuelle ou collective ? - Partie 5/5
Nous avons vu la semaine dernière que les préférences politiques et les comportements liés sont en partie hérités et traduisent d’une certaine façon les appartenances sociales des électeurs : niveau de diplôme, catégorie professionnelle, lieu d’habitation, etc. Cependant une telle détermination des préférences politiques supposerait que les choix électoraux soient stables. Or, on a vu se développer ces dernières décennies une certaine « volatilité électorale ». C’est à dire que d’une élection à l’autre, le comportement des électeurs changent. On a déjà cité l’augmentation forte de l’abstention intermittente. Il faut y ajouter le changement de parti ou de candidat d’une élection à l’autre. Quelle est l’ampleur de ce phénomène et comment peut-on l’expliquer ? C’est le sujet de cette dernière partie du chapitre.
III. L’augmentation de la volatilité électorale et ses explications
Objectifs d'apprentissages:
- Comprendre que le vote est à la fois un acte individuel (expression de préférences en fonction d’un contexte et d’une offre électorale) et un acte collectif (expression d’appartenances sociales).
- Comprendre que la volatilité électorale revêt des formes variées (intermittence du vote, changement des préférences électorales) et qu’elle peut refléter un affaiblissement ou une recomposition du poids de certaines variables sociales, un déclin de l’identification politique (clivage gauche/droite notamment) et un renforcement du poids des variables contextuelles.
A. Vers un électeur libéré de ses appartenances sociales et politiques ?
L’idée générale est présentée dans ce document (doc 4 P199) de votre manuel.
On nous y explique qu’en raison de l’affaiblissement des grandes institutions politiques (les partis et organisations de jeunesse) et de l’élévation du niveau d’éducation, les individus voteraient plus librement et plus rationnellement (ce qui est assez contestable, il n’est pas irrationnel de voter à gauche quand on est ouvrier ou à droite quand on est indépendant) en fonction des programmes, un peu comme un consommateur dans les modèles économiques. Le choix des élécteurs se ferait donc en souspesant les avantages attendus de tel ou tel candidat en fonction de son programme et de leurs propres préférences.
Sur le constat, on peut effectivement constater que les variables socio-économiques ne jouent plus le même rôle que dans la période d’après-guerre. Le « vote de classe », celui des ouvriers pour les partis de gauche ou d’extrême-gauche a vécu.
C’est ce que permet de mesurer l’indice d’Alford qui fait la différence entre la proportion d’ouvriers votant à gauche et la proportion de non ouvriers votant à gauche. Par exemple, si 80% des ouvriers votent à gauche et 15% des non-ouvriers votent à gauche, l’indice d’Alford est de 80-15=65%. Donc moins les ouvriers votent à gauche et plus les non-ouvriers le font également, plus l’indice est faible.
Le document suivant présente l’évolution de cet indice dans quelques pays occidentaux entre 1945 et 1990
Dans tous les pays considérés, la baisse et très nette : elle est de 20 points dans la plupart des pays européen, un peu moins en France mais c’est le pays où il était le plus faible au départ.
L’identification politique semble donc faiblir, en tout cas à gauche, ce que confirme le document suivant. (doc 1P198)
Ici, sur un temps plus court et spécifiquement en France, on peut comprendre comment Emmanuel Macron a pu arriver au pouvoir en 2017 sans appartenir à l’un des partis traditionnel de la gauche ou de la droite et en revendiquant n’être d’ailleurs « ni de gauche, ni de droite ».
Si entre 2008 et 2012, plus de 40% des électeurs revendiquent une proximité avec la gauche et environ 25% avec la droite, le changement est très net par la suite. L’identification aux partis de gauche perd 25 points, la proximité aux partis de droite baissant légèrement. Cette baisse se fait au profit d’une absence d’identification qui passe de 10 à 35% des électeurs et dans une moindre mesure d’une proximité avec le Front National.
Le clivage droite-gauche semblait donc remis en question chez les électeurs, ce qui ne signifie pas qu’il soit voué à disparaitre à long terme. Mais le moment était bien choisi pour une candidature au centre et un duel au second tour avec l’extrême-droite : le scénario de la présidentielle de 2017. Quel rôle la volatilité électorale a-t-elle joué en la matière ?
Le document suivant, qui croise le vote du premier tour des élections de 2012 et celui de 2017, nous permet d’y répondre.
Pour la lecture : 64% des électeurs de J-L Mélenchon en 2012 ont voté pour lui à nouveau en 2017 mais 20% de ses électeurs d’alors se sont abstenus. Les autres 16% se sont reportés sur d’autres candidats. Il y a donc ben une volatilité électorale importante : 1/3 des électeurs de Mélenchon, 1/4 des électeurs de Le Pen pour les candidats présenta à la fois en 2012 et en 2017.
Si on essaye d’expliquer l’absence des candidats des partis traditionnels (parti socialiste pour la gauche et Les Républicains, ex-UMP pour la droite) et l’élection d’Emmanuel Macron, il faut s’intéresser au comportement des électeurs de François Hollande et de Nicolas Sarkozy.
On constate que 19% des électeurs de Hollande en 2012 ont voté pour Mélenchon, seuls 13% pour le candidat du PS Benoit Hamon mais presque 40% pour E. Macron. A droite, François Fillon ne profite que de la moitié des voix des électeurs de Sarkozy en 2012 dont 15% ont voté pour Macron.
Les électeurs ne votent donc pas toujours de la même manière suivant leurs caractéristiques sociales ou par fidélité partisane. Mais c’est aussi parce que chaque élection est différente.
B. Le rôle du contexte
On le comprend avec le dernier tableau, ce qui rend les choses difficiles pour établir des comparaisons, c’est qu’une élection n’est jamais tout-à-fait la même que la précédente. L’offre politique fluctue et ce ne sont pas toujours les mêmes candidats qui s’affrontent, de nouveaux partis peuvent apparaître et celui qui était au pouvoir pendant la période précédente peut avoir déçu ses électeurs précédents ou au contraire profiter de son bon bilan. Comme pour l’abstention, le type d’élection et le contexte est donc déterminant en matière de vote.
Aux élections européennes, les écologistes réalisent très souvent de bons scores parce que c’est une élection à la proportionnelle et qu’il n’y a pas de deuxième tour. Et le choix ne concerna pas forcément la politique nationale. On peut donc voter selon des préférences et pas forcément en fonction des chances de victoire au second tour. Aux élections présidentielles, leurs résultats sont souvent médiocres et l’écologie n’apparaît que comme une préoccupation secondaire pour les français.
Ce qui va expliquer le succès variable d’un candidat ou d’un parti d’une élection à l’autre, cela peut être l’enjeu de l’élection, le thème qui paraît important dans les mois qui précèdent : l’immigration, le chômage, le terrorisme… en fonction de la perception que les électeurs ont des enjeux du moment, cela ne va pas profiter au même parti ou au même candidat.
La campagne électorale n’est donc pas tout-à-fait inutile comme le laissaient penser les analyses de Lazarsfeld. Elles sont l’occasion pour les candidats d’essayer d’imposer des thèmes sur lesquels ils apparaissent comme les mieux placés, les plus à l’aise et de mobiliser au maximum leur électorat potentiel en limitant l’abstention dans leur propre camp.
Cette vidéo que vous avions visionné plus tôt dans l’année, sur le rôle des réseaux sociaux pendant les élections, prendra maintenant tout son sens :
https://www.youtube.com/watch?v=AHn2rSGSKKY
Et parfois, lorsqu’un candidat crée la surprise, c’est simplement parce que sa candidature a correspondu à une attente de changement ! Si on revient aux exit polls des élections présidentielles US, on peut essayer de comprendre la victoire de Trump.
Les électeurs qui identifiaient la politique étrangère et l’économie (l’enjeu principal) comme des priorités étaient plutôt des électeurs démocrates. Pour la lecture : 13% des électeurs considéraient la politique étrangère comme l’enjeu majeur pour le pays. 60% de ces électeurs ont voté pour de Clinton, 33% pour Trump.
A l’inverse l’immigration et le terrorisme étaient plutôt des préoccupations des électeurs de Trump, ce qui est assez classique. On voit sur la droite que Clinton apparaissait plus expérimentée et plus avisée mais que la qualité qui paraissait la plus importante à 39% des électeurs était la capacité à amener du changement et que c’est ce qui a été décisif chez les électeurs de Trump.
Pour les élections à venir, il faudra sans doute être le candidat qui paraît le mieux placé pour répondre à la crise économique qui arrive… Le thème de la rupture (repris par tous les candidats français aux présidentielles de 2017), ça marche une fois mais c’est plus difficile quand on est le sortant…
Les éléments vus aujourd'hui permettent donc de nuancer le rôle de l'identification partisane et des caractéristiques sociales des électeurs par des variables contextuelles.
Ce schéma permet de reprendre les différents éléments qui interviennent dans les choix electoraux. Vous retrouverez à gauche l’aspect collectif du vote et à droite les aspects plus individuels.
Vous avez une synthèse complète du chapitre P204 et 205 de votre manuel pour faire le point.
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